La vie est un long fleuve impétueux

Ce que j’adore dans la traduction, c’est que chaque jour ou presque, on a l’impression de faire un métier différent. Chaque jour, il faut se réinventer, relever de nouveaux défis, faire face à de nouvelles exigences, se mettre dans la peau d’un autre client (ou d’un autre lecteur). Un peu comme un acteur qui change de rôle. En bref, les jours passent et ne se ressemblent pas, et c’est sans doute cela qui nous permet de faire ce métier longtemps, longtemps, longtemps – j’espère.

Il y a quelques semaines, une agence m’a demandé de traduire deux extraits de romans, l’un d’un auteur autrichien, l’autre d’un auteur allemand. N’étant pas à proprement parler une traductrice littéraire (les manuels de lave-linge, c’est généralement moyennement inventif question style), j’ai longuement hésité. Comme ces deux textes n’étaient pas destinés à une publication, mais uniquement à informer les auditeurs d’une lecture publique (en allemand) du contenu des deux œuvres et que le délai était plus que raisonnable, j’ai fini par accepter.

A vrai dire, c’était un peu le fantasme de toute traductrice/tout traducteur qui se réalisait pour moi. Demandez à n’importe quel étudiant en traduction ce qu’il voudrait faire plus tard, vous avez 9 chances sur 10 de vous entendre répondre « de la traduction littéraire ». Jeune inconscient ! D’une part, la traduction littéraire représente un marché extrêmement spécialisé et restreint, dont il est très difficile de vivre. D’autre part, elle constitue, selon moi, un métier complètement à part. Les traducteurs littéraires sont avant tout des écrivains, des poètes, des romanciers, qu’ils publient leurs propres œuvres ou non. Rien à voir avec le commun des (traducteurs) mortels.

Cette expérience s’est révélée encore beaucoup plus enrichissante que prévu, car il m’a fallu réfléchir à l’approche que j’allais adopter pour traiter ces textes. Il m’a semblé clair dès le départ que mon approche habituelle n’allait pas pouvoir s’appliquer ici, puisque je traduis essentiellement des documents techniques et des brochures de marketing. Je dois donc généralement m’efforcer dans le premier cas de rester claire et concise et, dans le second, de donner envie aux lecteurs de s’intéresser aux produits ou services proposés par le client. Pas grand-chose à voir, donc, avec de l’orfèvrerie stylistique. Alors comment faire ? J’ai décidé que je devais orienter mon travail sur le ressenti. Les textes français devaient susciter chez leurs lecteurs les mêmes émotions que les extraits originaux chez des lecteurs germanophones. Pour cela, j’ai dû travailler sur le rythme des phrases (un style sec et nerveux dans le premier cas, policé et très construit dans le second) et sur le choix du vocabulaire (courant, voire familier, pour l’un, élaboré pour l’autre). Le tout a été relu moultes fois par mon linguiste de mari, philologue et donc beaucoup plus « orienté » littérature que moi. Le résultat ? Honnête vu l’usage destiné aux textes. Très loin d’une traduction littéraire virtuose prête à une publication chez Gallimard. Mais ce n’était pas non plus le but recherché par le client.

Ce que je retiens de ce travail, outre le fait que le défi passionnant, c’est qu’il a été pour moi l’occasion de réfléchir à mon métier. Et ce genre d’occasion me semble suffisamment rare pour être soulignée !

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